Le cheval de la Calquière

Texte de Jean Boudou
extrait de « Jean Boudou – contes » – édition du Rouergue – 1989


Un jour de quinze août, vingt-deux jeunes gens de la Rivière s’en allèrent à la fête de Bourgnounac : en Albigeois, il y a de belles filles brunes aux jambes nues et qui savent danser en vous serrant bien comme il faut.


Tant et si bien que les vingt-deux jeunes gens se retardèrent : ils soupèrent à Bourgnounac, chacun avec sa cavalière. Ils remplissaient toute la table de l’auberge. Ils mangèrent du poulet rôti et firent tout le repas au vin de Gaillac. Puis ils se mirent à danser : il était plus de minuit à la fermeture du bal.


Il fallut dire adieu aux jeunes filles et promettre de se revoir. Une dernière bise, et les jeunes de La Rivière repartirent seuls pour rentrer chez eux. Au Carrelier, un gros orage leur tomba dessus. Eclairs et tonnerre ! Et de la pluie qui tombait à verse !


Nos retardataires s’abritèrent contre la muraille de l’église peut-être pendant plus d’une heure. Dans les ravins, là-bas, grondait le Viaur qui devait être en train de grossir.


L’orage passa. Le ciel s’éclaircit quelque peu. Entre les nuages, un quartier de lune vieille montrait le bout de son nez. Les vingt-deux jeunes gens redescendirent par le chemin forestier. Ils arrivèrent à la Calquière. A l’époque il n’y avait pas de pont : pour passer de l’autre côté, il fallait passer le Viaur à gué. Oui, mais les eaux étaient grosses et le courant s’amplifiait. Les vingt-deux jeunes s’arrêtèrent à l’extrémité du chemin forestier :

« Revenons au Carrelier », dit l’un.

« Montons plus haut : nous passerons à gué à Pourcassés », dit un autre.


I, i, i, i ! Les jeunes gens levèrent la tête : là, au bord du Viaur, un cheval hennissait, un gros cheval tout blanc, avec la bride qui pendait. Les vingt-deux jeunes s’approchèrent. Le premier sauta à la bride. Le cheval était très franc et il se laissa caresser :

« Les gars, dit le premier jeune, les eaux ne sont pas si grosses que ce qu’on croirait : si nous montions à cheval il nous porterait de l’autre côté.

– Montons à cheval ! s’écrièrent-ils tous en choeur : montons à cheval ! »

Cheval de la Calquiere © Ostal Jean Boudou

Et il en monta un. Et il en monta deux. Le dos du cheval, derrière eux, s’allongea de deux empans.
Un autre jeune monta. Et puis un autre : le dos du cheval s’allongeait toujours comme saucisse au bout de l’entonnoir.


Et puis un autre : le dos du cheval s’allongeait toujours comme saucisse au bout de l’entonnoir.

Les vingt-deux jeunes gens trouvèrent ça tout naturel. Il faut dire que le vin de Gaillac leur échauffait les oreilles. Tous les vingt-deux montèrent sur le cheval qui s’allongea tant et si bien qu’il mesurait plus de six mètres, de la tête au fond de la croupe :

« Prêts ? demanda le plus jeune, celui qui tenait la bride. – Attendez ! répondit le dernier qui s’installait au ras de la queue, attendez : mon père m’a recommandé de faire un signe de croix chaque fois que je traverserais le Viaur ; je fais le signe de la croix. »


Et le jeune homme se signa. Mais alors : ha, ha, ha, ha ! le cheval blanc en fumée se dissipa ! Sans ce signe de croix je noyais ces vingt-deux là ! Ha, ha, ha, ha ! hennit le rire sauvage. Les vingt-deux jeunes se retrouvèrent à plat ventre sur les cailloux du chemin forestier. Ils se relevèrent comme ils purent. Ils avaient reconnu le Drac : jamais plus ils ne se retardèrent dans la nuit.

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